QUINTETTE POUR PIANO ET CORDES OP.80

Le Quintette pour piano et cordes op.80 a été composé en 1920-1921, et a été créé le 24 avril 1934 à Bruxelles par le pianiste et musicologue Paul Collaer, avec le quatuor de Bruxelles. Par ses proportions monumentales, la densité de son aspiration, sa complexité d'écriture, il doit être considéré au même titre que le Quintette de Florent Schmitt, comme l'une des créations les plus significatives du renouveau des grandes formes de la musique de chambre en France, au cours des deux premières décennies de ce siècle. De même que le quintette de Schmitt, delui de Koechlin a le carectère d'une oeuvre symphonique "implicite" : l'auteur avait d'ailleurs l'intention de l'orchestrer, comme il l'avait fait pour son Second Quintette devenu la Première Symphonie. Démarche d'ailleurs caracténstique du musicien : il a en effet donné à un certain nombre d'oeuvres des réalisations instrumentales différentes (Heures Paysannes, Paysages et Marines).

Le Quintette avec piano est l'une des compositions de musique de chambre à laquelle Koechlin tenait le qlus : dans ce domaine où il compte tant de réussites c'est probablement l'une de ses oeuvres les plus profondes et les plus achevées.

Contrairement à la Sonate pour piqno et violon, il existe peu de documents de la main du compositeur qui explicitent le "programme" suggéré par le titre des quatre moeceaux, et relativement peu d'indications sont portées sur la partition. Le Quintette tire en tout cas son inspiration d'une idée chère au musicien : celle de la résurrection après l'adversité, du triomphe de la vie et de la joie, sur la douleur. Ce thème devait notamment être traité plus tard dans de vastes compositions symphoniques : La Seconde Symphonie (1943), Le Buisson Ardent (1938-1945), Le Docteur Fabricius (1945). Sa permanence dans l'inspiration de Koechlin témoigne d'une pensée profondément romantique même si elle utilise des moyens d'expressions modernes. Par ailleurs, l'optimisme des conclusions vers la lumière et la joie ne doit pas occulter l'importance accordée par le compositeur aux parties les plus sombres, aux accents d'une intensité souvent déchirante : chez cet optimiste, tout n'était pas lumière, et l'inquiétude, le doute, tiennent une place non négligeable dans son inspiration. La toile de fond du Quintette est la Nature : chez Koechlin le Thème de la nature est permanent et a un rôle essentiellement synamique. La Nature chez lui n'est pas source de nostalgie. A son contact l'homme retrouve la sérénité et éprouve le renouveau de ses forces. Il faut enfin souligner le modernisme du langage employé dans le Quintette : à la date de sa composition, les moyens utilisés sont notoirement en avance par rapport à ceux qu'emploient ses contemporains Ravel ou Roussel. Ils situent Koechlin, au côté de Schoenberg, comme l'un des grands découvreurs de l'atonalité.


1- "L'ATTENTE OBSCURE DE CE QUI SERA..." - Andante très calme, presque adagio.

Atmosphère sombre, dont le caractère tourmenté est obtenu par l'utilisation d'un langage ultrachromatique, tendant vers l'atonal. L'idée principale est une mélodie à caractère répétitif, exposée par le violoncelle sur des harmonies en quinte supperposée au piano. Par la suite, un accompagnement en forme d'ostinato d'arpèges lents et descendants, au piano, soutient une conduite essentiellement contrapunctique des voix au cordes, en chromatisme. Avant la conclusion, un dessin ostinato et chromatique du piano dans le registre grave conduit graduellement à un sommet d'intensité, dont l'impression d'incertitude douloureuse et de lointains extrèmes résulte de l'emploi d'agrégations atonales.


2- "L'ASSAUT DE L'ENNEMI..." (la blessure) - Allegro con moto (sourd, agité, très rythmé mais de loin).

Il émane de ce mouvement (qui tient lieu de scherzo) une impression de déferlement tumultueux, avec des cris et des fanfares surnageant par instant au-dessus du flot sonore. Deux motifs principaux : thème de "fanfare" très bref, de rythme ternaire, exposé par les violons à la première mesure, puis motif houleux de quintes au piano. Ces motifs sont ensuite imbriqués dans un développement à caractère contrapunctique. Deux points culminants, séparés par une séquence plus ralentie, "Ici une sorte de repos au milieu des attaques". Au second point culminant l'auditeur remarquera les accords polytonaux lourdement scandés par le piano, ainsi que le motif de quintes, cette fois descendant, martelé à découvert dans le registre grave du piano qui annonce le théme principal du final. Epilogue lent et pianissimo, sur un accompagnement en ostinato passant des cordes au piano : cet épisode qui introduit une brusque rupture dans la tension traduit peut-être le vide et le morne abattement consécutif combat.


3- "LA NATURE CONSOLATRICE..." - Andante, très calme, lent, très doux.

Dans les mêmes notes se rapportant au Quintette, Koechlin écrit : "Les voix de la Nature, parlent au poète en leur fraîcheur et leur naïveté, indifférentes et éternellement claires, vivantes - c'est la vie qui continue - le poète répond - la sérénité est entrée dans son coeur".

Trois matériaux thématiques principaux. Après trois mesures d'introduction (arpèges du piano, tenues aux cordes) motif de gamme descendante au piano (le calme de la nature). Après une pause, la voix du poète (d'abord au violon) : phrase limpide et pure, "qui s'épa- nouit mais avec un reste de souffrance par endroit". Enfin réponse de la nature : rythme de barcarolle descendant, au piano, puis reprise de la voie du poète. Ces trois éléments se combinent ensuite dans une grande expansion emprunte d'un sentiment de ferveur intense.

Le style de ce morceau est sensiblement différent de celui des deux précédents : la thématique en est franchement diatonique, par degré conjoint, avec de fréquents recours à la gamme par ton ou à la modalité, l'harmonie est d'une polytonalité limpide, multipliant les effets d'espacement des quintes entre le grave et l'aigü. Le sentiment pastoral rapproche ce morceau de la belle suite poour piano Paysages et Marines.


4- FINAL "LA JOIE" - Allegro moderato.

Le thème principal exultant (en germe dans le motif de quintes vers la fin du second morceau) n'est pas énoncé moins de quatre fois par le piano. Motif gravé dans le bronze, au rythme martelé et implacable, réparti en quatre srtophes, les trois premières d'une égale longueur, qui s'imprimera dès la première audition dans la mémoire de l'auditeur. Ce thème magnifique, qui appartient à la catégorie de ceux "dont on se souvient", va alterner avec deux motifs à caractère plus secondaire. Le premier est confié exclusivement aux cordes : ce qu'explique son caractère contrapunctique (exposition en canon). C'est une idée assez simple, d'un sentiment de sérénité. Le deuxième motif secondaire est d'un tempo plus allant : thème de joie tranquille, naïve, à l'allure de refrain populaire, d'un esprit proche de celui des sonatines pour piano. Exposé par le piano, il se partage ensuite entre les autres instruments. Ces deux idées vont alterner jusqu'au retour du thème de la joie, qui mène l'oeuvre vers une majestueuse et exultante conclusion.

Il ressort de cette trop brève analyse que ce majistral Quintette est loin de répondre aux schémas habituels de la forme sonate. C'est bien d'un véritable Poème pour piano et quatuor à cordes qu'il s'agit. Mais le sens de la construction et la science de son auteur lui permettent d'élaborer des structures solidement étayées, apres à recueillir le message qu'il avait à nous transmettre. Chez Koechlin, la forme est modelée par la pensée, et ne répond à aucun schéma préétabli.